L’affranchissement des habitants de Venarey en 1777
Dans le cadre de mes recherches aux Archives départementales à Dijon, Côte d’Or, recherches qui sont à la racine de mon livre « La vie des villageois au XVIIIe siècle », j’ai trouvé beaucoup d’actes concernant les villages mainmortables. Toutes les terres de ces villages mainmortables appartenaient exclusivement au seigneur du lieu, c’est-à-dire à une personne issue, dans la plupart des cas, de la noblesse, à une communauté religieuse ou au Roi. Ces terres, travaillées et mise en valeur par une succession de paysans qui en jouissaient en les prenant en bail, étaient des terres inaliénables qui ne changeaient jamais de main. Le seigneur donnait ainsi à bail perpétuel à un de ses sujets une maison ou des terres qu’il ne réservait pas à son propre usage et ceci contre une somme élevée, payable une fois au début du bail, ainsi qu’une faible redevance annuelle fixe.
Si le villageois payait régulièrement la redevance, il pouvait jouir librement de ces biens et même les vendre à un autre serf de la même seigneurie, mais il était dans l’incapacité de faire un testament pour en disposer à sa guise. En d’autres termes, le serf ne pouvait léguer lui-même ses biens, terres, maisons et meubles meublants. Lors de son décès sans héritiers directs vivant avec lui en communauté, tous ses biens revenaient de plain droit au seigneur qui pouvait, de ce fait, les remettre moyennant finance à un autre mainmortable.
Pour des raisons aujourd’hui inconnues, il arrivait que le seigneur affranchisse les habitants de tout un village comme ceux de Souhey en 1737 et ceux de Venarey en 1777 et ceci bien avant que le roi Louis XVI ait aboli, par l’édit du 6 août 1779, la condition servile et la mainmorte sur toutes les terres et seigneuries du domaine royale. Grâce à l’affranchissement, les villageois devenaient ainsi des personnes libres comme c’était le cas pour les habitants des villes. André-René marquis de Bataille a ainsi affranchi les habitants de Venarey le 13 novembre 1777. L’acte suivant a été signé alors par une trentaine de villageois. Pour une lecture plus aisée, j’ai mis dans ma transcription du document quelques phrases en gras.
13.11.1777 Affranchissement du village de Venarey par le Seigneur André-René marquis de Bataille
Archives Départementales 21, cote 4 E 109-154
L’an 1777, le 13.11. apres midy pardevant Antoine Copern conseiller du roy notaire de la residance de Semur en Auxois y demeurant soussigné et en presence des temoins cy apres nommés, et aussi soussigné expres appelé au village de Venarey, dans une grange appartenant à la cure furent presents Joseph Brenot dit Sanson, et Germain Callabre scindics de la communauté dudit lieu de Venarey assistés du sieur Francois Boguet, Emé Jobelin, René Naissant, Etienne Gabillot, Claude Brenot, Claude Callabre, Jean Emery, Claude Jobelin, Pierre Brenot, Jean Gabillot, Louis Brenot, François Briandet, Claude Brenot, Etienne Brenot, Gaspard Jobelin, Jacques et Jean Callabre, Jacques Gigou, Etienne Emery, René Martin, Jean Emery, Jean Martin, René Brenot, Louis Brenot, Jacques Gigou, François Maillot, Claude Gabillot, Pierre Brenot, Claude Lapipe, Jacques Gabillot, Jean Briandet, François Briandet, Claude Brenot dit le boiteux, Jean Grenet, Claude Gabillot, veuve Louis Brenot, Pierre Martin, Germain Dabadier, Jean Robert, Pierre Bergeret, Charles Goussot, Jacques Gabillot, Benigne Remyot, Jean Bergeret, Jean Callabre, Etienne Labache, Jacques Martin, Jean Emery, Louis Dumanet, veuve Jean Thuillier, veuve Claude Maguet, Jean Poiret, Claude Callabret, Jacques Renaud, veuve Simon Callabret et veuve Jean Gabillet, tous habitans de Venarey assemblés au son de la cloche suivant lusage formant plus des deux tiers de la communauté, et la representant, lesquels ont dits qu’ils auroient supliés differrentes fois Messire André-René marquis de Bataille, chevalier seigneur de Venarey, Clirey, et autres lieux, capitaine au Regiment Dauphin cavalier [il avait reçu ce fief par son contrat de mariage le 14.10.1776 de son père Henry de Bataille, gouverneur de Flavigny] demeurant ordinairement à Flavigny, de les affranchir de la servitude de main-morte universelle à la quelle ils sont sujets sous les soumissions qu’ils font de luy payer annuellement le droit de tierce sur tous les graines et legumes qui croiteront sur le territoire et finage de Venarey à raison de 12 gerbes l’une, au lieu de 13 gerbes l’une qu’elle se perçoit ordinairement de lui payer aussi annuellement un boisseau d’avoine comble mesure de Semur par chaque feü, et deux paires de poules une fois payé, c'est-à-dire une paire à la Saint Jean de l’année prochaine 1778, et l’autre paire le même jour de l’année 1780 auxquelles soumissions et supplication Me Jean-Baptiste Bernard Gautherin avocat à la cour conseiller du roy maire de Flavigny cy present et se faisant fort pour mondit seigneur marquis de Bataille se soumettant de lui faire avoüer, ratiffier les presentes dans le courant de janvier prochain, à peine de tous depens dommages et interests, ayant adheré, ledit Sieur Gautherin en sa dite qualité, a affranchy des maintenant, tous les habitans de Venarey, leurs personnes, leurs posterites nés et à naitre leur ayant cause, et leurs Biens à perpetuité de la servitude de main morte, à la quelle ils etoient assujetis, mais sous la condition expresse que ledit affranchissement de la main morte sera seülement sous lattes, c'est-à-dire qu’il n’y aura que les habitans residant à Venarey qui seront franc et que tous ceux qui sont etablis et le seront hors du lieu seront à perpetuité sujets à la main morte comme cy devant de telle sorte que la main morte subsistera en son entier à légard des propriétaires forains, ce qui a été accepté par tous les habitans presents en corp de communauté tant pour eux que pour les absents pour les quels ils se font fort, les leurs ayant cause à perpétuité, en consequance ils se sont soumis et obligés aux dites quantités de payer annuellement, et à perpétuité a mondit seigneur le marquis de Bataille... payable au château de Venarey à la Saint Martin d’hiver de chaque année... reconnoissant en outre les dits habitans toujours au corps de communauté
1° que la terre de Venarey releve immediatement du Roy,
2° qu’il appartient au seigneur la justice, haute, moyenne et basse sur tous les habitans, finage et territoire dudit Venarey avec le droit d’instituer tous officiers pour l’exercice dycelle et de les instituer à sa volonté,
3° que chaque habitant doit annuellement à la seigneurie trois journées de bras pour les manouvriers, l’une en fauchaison lautre en moisson la troisième en vendange et ceux ayants charüe 3 corvées de leur charüe, lune aux sombres [sombre = terres qu’on laisse reposer, jachères. “Faire les sombres”, donner la première façon à la terre, au sortir de l’hiver, pour l’ameublir et la nettoyer], lautre à la semaille du froment, et la troisieme à celles des orges et avoine.
4° qu’il appartient audit seigneur annuellement une taille seigneurialle de 75 livres affectés sur tous les fonds du finage suivant qu’il est plus amplement détaillé par la transaction du 24 mars 1734 recü de Versi [Nicolas Deversi] notaire à Semur, laditte taille payable à la Saint Remy de chaque année,
5° le droit de lot general à raison de 20 deniers par livre de toutes les acquisitions de fonds d’heritages, situés aux lieux finage et territoire dudit Venarey avec le droit de retenüe
6° une poulle de coutume annuellement par chaque habitans, tenant feü et lieu et vne autre poulle pour le vivier en par le seigneur le reparant ;
7° Le droit damende, epave et confiscation.
8° le droit de guet et garde au château de Venarey au tems de guerre tant par lesdits habitans que ceux de Laumes. 9° le droit d’indire [indire = le seigneur pouvait exiger l'indire dans quatre cas exceptionnels : pour un voyage outre-mer, pour une nouvelle Chevalerie, pour payer la rançon du Seigneur prisonnier de guerre et pour le mariage d'une fille] aux cas expliqués par la coutume.
10° le droit executif de peicher et chasser sur toute la seigneurie
11° la riviere qui est sur le finage appartient en toute justice audit seigneur
12° que les dits habitans pour les deux tiers et ceux des Laumes pour lautre sont tenüs des reparations des ponts et fossés du château suivant la charte du duc Jean en par le dit seigneur le mettant en etat de deffenses.
13° qu’il appartient audit seigneur le droit de vendange un jour avant les habitans avec celuy de fixer par ses officiers les baux de vendanges
14° qu’il lui appartient un four bannal ou tous les habitans doivent cuire leurs pates et payer le droit de fournage à raison de 16 livres une,
15° qu’il luy appartient aussi un moulin bannal, mais les habitans n’étant pas tombés daccord sur la quantité de la perception düe au munier, et ayant pretendü qu’ils ne devoient que la 20e ecuelle, ledit sieur Gautherin audit nom ayant pretendü qu’ils devoient le seigneur, les parties ont faits chacune à cet egard leur protestation respectives pour etre par la suite statué sur cet objet a qu’il appartiendra ;
16° qu’il appartient audit seigneur le tier dans les communaux.
17° que les bois de la seigneurie sont toujours en deffenses, les habitans ny ayants aucuns droits de paturages le tout suivant qu’il est plus amplement detaillé dans le terrier du 03.10.1723 et jour suivants, receü Chamereau notaire à Sainte Reyne, sans prejudice des batimens, chateaux, terres, pres, vignes, chenevieres, bois, et autres fonds appartenants audit seigneur... ; donnants les dits habitans tout pouvoir au porteur des presentes de faire homologuer la presente transaction ou besoin sera, de laquelle les frais & une expedition au seigneur, seront à leur charge et à linstant est survenü le sieur Jean Baptiste Fournier fermier de la seigneurie, le quel à donné pour ce qui le concerne son consentement au present affranchissement et a consenti que les poulets appartinssent au seigneur. Le present affranchissement en valleur de 100 livres par an ; ...